La police de Calgary vous regarde - L'hypocrisie de la reconnaissance faciale secrète
Quand un chef de police démissionne subitement, suivi par ses deux adjoints, sans même laisser un petit mot sur l’oreiller, c’est louche… Très louche. Et c’est pourtant c’est ce qui s’est passé à Calgary en avril dernier, soit 17 jours après qu’un commissaire à la vie privée ait forcé la divulgation de documents compromettants. Dans ces papiers on apprend comment la police locale a secrètement dépensé jusqu’à 100 000 dollars par an pour espionner les citoyens sur les réseaux sociaux, tout en jurant publiquement le contraire.
Il faut savoir que là bas, au Canadaaaa, la police utilise officiellement des logiciels de “reconnaissance d’images” commercialisés par les sociétés Meltwater et Talkwalker. Et non pas des logiciels de “reconnaissance faciale”. Ouf, c’est tout bon alors ?
Et bien non, car selon les documents obtenus par Drug Data Decoded, c’est exactement la même chose, mais comme d’hab avec un nom qui fait moins flipper. C’est un peu comme appeler un tank un “véhicule de transport blindé”. C’est techniquement correct, mais y’a “un peu” tromperie sur la marchandise…
Et, vous vous en doutez, cette distinction sémantique n’est pas anodine. En effet, techniquement, la reconnaissance d’images telle qu’elle est vendue par ces entreprises, c’est “la capacité d’un logiciel à reconnaître des lieux, objets, personnes, actions, animaux ou texte depuis une image ou vidéo”.
Oui, vous avez bien lu : “personnes”.
Ce genre d’outil est même capable de pouvoir identifier des célébrités et influenceurs dans les photos, donc on va arrêter de tortiller des fesses : Cette reconnaissance d’images, c’est de la reconnaissance faciale, mais avec un petit costume-cravate pour faire plus respectable.
Et vous savez combien d’agences canadiennes utilisent ces outils ?
Et bien d’après les documents, Meltwater qui fournit cette techno, compte parmi ses clients les polices d’Edmonton, Waterloo, Hamilton, Saskatoon, York, la Sûreté du Québec, la Police provinciale de l’Ontario, et même tous les ministères du gouvernement ontarien.
Le contexte canadien rend cette situation encore plus absurde car en 2021, les commissaires à la vie privée ont déclaré Clearview AI illégal, qualifiant ses pratiques de “surveillance de masse”. Pour rappel, la police de Toronto avait utilisé Clearview AI dans 84 enquêtes avant que leur chef ne l’apprenne et en ordonne l’arrêt.
Mais voilà un sacré retournement de situation qu’on n’attendait pas… un jugement de mai 2025 en Alberta pourrait légitimer le scraping de données et l’entraînement d’IA sur des informations publiques. En effet, le juge a estimé que la définition de “publiquement disponible” était trop restrictive dans le contexte d’Internet et violait la liberté d’expression. Du coup, Clearview AI peut prétendre exercer sa liberté d’expression au travers de son service.
C’est ti pas beau ça, non ?
Et pendant ce temps, la réglementation chez nos amis Canadiens reste dans les choux car contrairement aux empreintes digitales ou à l’ADN, la reconnaissance faciale n’est soumise à aucune règle claire. Des services de police comme York et Peel en Ontario ont d’ailleurs commencé à utiliser la technologie d’Idemia, tandis que Toronto cherche à moderniser son système avec un appel d’offres clos en février 2025.
Ce qui m’énerve particulièrement dans toute cette histoire, c’est une fois encore l’hypocrisie. Car en 2020, après s’être fait prendre la main dans le sac, avec Clearview AI, la police de Calgary avait promis de ne jamais utiliser de reconnaissance faciale sur des images qu’ils ne contrôlaient pas.
Et voilà que 2 ans plus tard, ils signent des contrats avec Hootsuite, Meltwater et Talkwalker pour faire exactement ça. Comme on dit, les promesses n’engagent que ceux qui les croient…
Les documents obtenus par Drug Data Decoded montrent surtout qu’ils ont maintenu jusqu’à 100 comptes utilisateurs avec ces entreprises, dont 19 pour des activités “non-investigatives”, probablement pour surveiller ce qu’on dit d’eux sur Twitter (hey coucou les cousins ! 👋).
Voilà… Visiblement, la police au Canada est en roues libres complet avec sa petite surveillance de masse faite maison. C’est quand même assez bizarre dans une démocratie, vous ne trouvez pas ?
Un détail technique qui fait froid dans le dos c’est qu’à part Hootsuite, toutes ces entreprises sont américaines. Et comme vous le savez, sous le Cloud Act US, le gouvernement américain peut forcer ces sociétés à lui fournir l’accès à leurs bases de données. Autrement dit, vos photos Instagram analysées par la police de Calgary pourraient finir dans les serveurs de la NSA. Sympa pour la souveraineté des données canadiennes.
Notez que la police de Calgary a mis 15 mois pour fournir ces documents, après avoir “perdu” la demande initiale et ont même exigé 1 133 dollars pour finalement les rendre public avec de 2 semaines de retard par rapport à la date limite exigée par le commissaire à la vie privée.
Ils n’ont vraiment aucun respect des lois, ces gens là ^^. Surtout que pendant ce temps là, le sommet du G7 à pu se tenir tranquillement… sous surveillance, évidemment.
Ce qui ressort surtout de tout ça, c’est que c’est un système complètement dysfonctionnel où la police fait ce qu’elle veut en jouant sur les mots : “Reconnaissance d’images” au lieu de dire “reconnaissance faciale”, “information open-source” pour parler de vos posts Facebook, “activités non-investigatives” pour du stalking institutionnel. Faudrait quand même pas oublier que les commissaires à la vie privée ont décidé en 2021 que les posts sur les réseaux sociaux ne pouvaient pas être traités comme des données “publiquement disponibles” par les organismes publics. Mais apparemment, comme d’hab, personne n’a reçu le mémo…
Pire, en novembre 2021 toujours, l’UNESCO a adopté sa première norme mondiale sur l’éthique de l’IA, interdisant la surveillance de masse. Et ce qui est drôle, c’est que le Canada fait partie des 193 pays signataires… Je ne sais pas ce que dirait l’UNESCO s’ils apprenaient que Calgary dépense vos impôts pour vous espionner avec des outils qui violent tous ces principes.
Maintenant, pour ceux qui veulent vérifier si la police de Calgary détient des informations sur eux, Drug Data Decoded fournit un formulaire de demande d’accès à vos informations, que vous pouvez envoyer à la police. Et n’oubliez pas de croiser les doigts pour ne pas attendre 15 mois.
Bref, la surveillance policière au Canada c’est zéro transparence, zéro responsabilité, et des jeux de mots constants pour contourner les lois… Ça ne vous chatouille pas un peu les Canadiens ?