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Equifax - Comment "admin/admin" et un certificat SSL expiré ont exposé les données de 147 millions d'Américains

Par : Korben
30 août 2025 à 13:37
Cet article fait partie de ma série de l’été spécial hackers . Bonne lecture !

Je me souviens encore de ce 7 septembre 2017 quand j’ai vu l’annonce du hack d’Equifax débouler dans mes flux RSS. 143 millions d’Américains touchés avec leurs numéros de sécurité sociale, leurs dates de naissance, leurs adresses…etc… tout était dans la nature. Mais le pire dans cette histoire, c’est que ce n’était pas juste une faille technique. C’était un concentré de négligence, d’incompétence et de cupidité qui allait devenir le cas d’école de tout ce qu’il ne faut pas faire en cybersécurité. Trêve de blabla, je vous raconte tout ça tout de suite !

Pour comprendre l’ampleur du désastre, il faut d’abord comprendre ce qu’est Equifax. Fondée en 1899 sous le nom de Retail Credit Company (oui, cette entreprise est plus vieille que le FBI), c’est l’une des trois grandes agences de crédit américaines avec Experian et TransUnion. Ces entreprises collectent des informations sur pratiquement tous les Américains adultes telles que l’historique de crédit, dettes, paiements, emplois… Bref, tout ce qui permet de calculer votre score de crédit, ce fameux nombre qui détermine si vous pouvez avoir un prêt, louer un appartement, ou même décrocher certains jobs.

Le truc avec Equifax, c’est que vous n’avez jamais demandé à être leur client. Ils collectent vos données que vous le vouliez ou non. En 2017, ils avaient des dossiers sur environ 820 millions de consommateurs dans le monde, dont 147 millions rien qu’aux États-Unis. C’est comme si une entreprise privée détenait le dossier médical de chaque citoyen, sauf que là, c’est votre vie financière. John Oliver l’a parfaitement résumé pendant son émission : “Nous ne sommes pas les clients d’Equifax. On n’est pas le gars qui achète le bucket de poulet… On est les putains de poulets !

Richard Smith en était le CEO depuis 2005. Un vétéran de General Electric où il avait passé 22 ans, grimpant les échelons jusqu’à devenir Corporate Officer en 1999. Diplômé de Purdue University en 1981, Smith était le parfait exemple du CEO corporate américain : costard impeccable, sourire Colgate et salaire de base de 1,45 million de dollars par an, plus des bonus qui pouvaient tripler ce montant. Sous sa direction, Equifax était devenue une machine à cash, avec des revenus dépassant les 3 milliards de dollars par an et une capitalisation boursière qui était passée de 3 à 20 milliards.

Mais derrière cette façade de réussite, l’infrastructure IT de l’entreprise était un véritable château de cartes…

Richard Smith lors de son témoignage devant le Congrès américain en octobre 2017

Tout commence donc le 7 mars 2017. Ce jour-là, Apache Software Foundation publie un bulletin de sécurité critique estampillé CVE-2017-5638. C’est une vulnérabilité dans Apache Struts, un framework Java utilisé par des milliers d’entreprises pour leurs applications web. La faille est sérieuse car elle permet l’exécution de code à distance via une manipulation du header Content-Type dans les requêtes HTTP. En gros, un hacker peut injecter des commandes OGNL (Object-Graph Navigation Language) et prendre le contrôle total du serveur.

Bref, si vous avez une application vulnérable exposée sur Internet, n’importe qui peut devenir root sur votre machine…

Apache publie alors un patch le jour même. C’est là que les choses deviennent intéressantes car le 8 mars, le Department of Homeland Security envoie une alerte à toutes les grandes entreprises américaines, dont Equifax. “Patchez immédiatement”, dit le message. Le 9 mars, l’équipe sécurité d’Equifax fait suivre l’alerte en interne avec pour instruction de patcher tous les systèmes vulnérables sous 48 heures. Graeme Payne, le Chief Information Officer responsable des plateformes globales, supervise l’opération.

Sauf que voilà, Equifax, c’est une entreprise avec des milliers de serveurs, des centaines d’applications, et une dette technique monumentale. Le portail ACIS (Automated Consumer Interview System) datant des années 1970, et utilisé pour gérer les litiges des consommateurs sur leur crédit, tourne aujourd’hui sur une vieille version d’Apache Struts, et devinez quoi ? Personne ne le patche. Les scans de sécurité lancés le 15 mars ne trouvent rien.

Pourquoi ?

Et bien parce que l’outil de scan n’était pas configuré pour vérifier le portail ACIS. En gros, c’est comme chercher ses clés partout sauf dans la poche où elles sont.

Apache Struts, le framework vulnérable au cœur du hack d’Equifax

Le 10 mars 2017, trois jours après la publication du patch, les premiers hackers frappent. Ce ne sont pas encore les gros poissons, juste des opportunistes qui scannent Internet avec des outils automatisés. Des kits d’exploitation de CVE-2017-5638 circulent déjà sur le dark web, et Metasploit a même sorti un module le 7 mars à 6h21 UTC. Les premiers intrus trouvent alors le portail ACIS d’Equifax grand ouvert.

Les logs montreront plus tard que ces premiers hackers étaient probablement des amateurs. Ils se baladent un peu dans le système, réalisent qu’ils sont chez Equifax, mais ne vont pas plus loin. Pourquoi ? Probablement parce qu’ils ne réalisent pas la mine d’or sur laquelle ils sont tombés. Ou peut-être qu’ils ont eu peur. Toujours est-il qu’ils font ce que font tous les petits hackers quand ils trouvent un gros poisson : ils vendent l’accès.

C’est là qu’entrent en scène nos véritables protagonistes : l’unité 54th Research Institute de l’Armée Populaire de Libération chinoise. Wu Zhiyong, Wang Qian, Xu Ke et Liu Lei. Quatre officiers de l’armée chinoise spécialisés dans le cyber-espionnage économique. Ces types, c’est pas des script kiddies qui utilisent des outils trouvés sur GitHub. Non, ils font partie de l’élite cyber de la Chine, formés et financés par l’État pour voler les secrets économiques de l’Occident. Le 54th Research Institute, c’est le cousin moins connu mais tout aussi dangereux de la fameuse Unit 61398 (APT1) basée à Shanghai dont je vous parlais il y a quelques jours.

Les hackers chinois commencent leur travail mi-mai. Ils sont méthodiques, patients. D’abord, ils installent 30 web shells, des portes dérobées qui leur permettent de revenir quand ils veulent. Puis ils commencent à explorer le réseau. Et c’est là qu’ils tombent sur le jackpot, un truc tellement énorme qu’ils ont dû se pincer pour y croire.

Dans un répertoire non protégé, ils trouvent un fichier texte. Un simple fichier texte contenant… les identifiants et mots de passe de dizaines de serveurs. En clair. Pas chiffrés. Juste là, comme ça…

Parmi ces identifiants, plusieurs utilisent la combinaison sophistiquée “admin/admin”. Oui, vous avez bien lu. Une entreprise qui gère les données financières de 147 millions d’Américains utilisait “admin” comme nom d’utilisateur et “admin” comme mot de passe. C’est le genre de truc qu’on voit dans les films où on se dit “c’est trop gros, personne n’est aussi con”. Eh bien si.

Mais attendez, ça devient encore mieux.

Susan Mauldin, la Chief Security Officer d’Equifax à l’époque n’a aucun background en sécurité informatique. Elle a juste un Bachelor et un Master en… composition musicale de l’Université de Géorgie. Oui, la personne responsable de la sécurité des données de 147 millions d’Américains avait fait des études de musique. Certes, elle avait travaillé chez HP, SunTrust Banks et First Data avant d’arriver chez Equifax en 2013, mais son profil LinkedIn (qu’elle a rapidement rendu privé après le hack en changeant son nom en “Susan M.”) ne mentionnait aucune formation en sécurité. Dans une interview supprimée depuis, elle avait déclaré : “On peut apprendre la sécurité”.

Visiblement, pas assez bien…

Avec ces identifiants “admin/admin”, les hackers peuvent maintenant se balader dans le réseau d’Equifax comme chez eux. Ils accèdent à trois bases de données ACIS, puis à 48 autres bases de données. Au total, ils vont exécuter plus de 9 000 requêtes SQL sur une période de 76 jours. Plus de deux mois durant lesquels nos quatre militaires chinois pillent les données les plus sensibles de la moitié de la population américaine, et personne ne s’en aperçoit.

Mais comment c’est possible ? Comment une entreprise de cette taille peut-elle ne pas voir que des téraoctets de données sortent de ses serveurs ? Et bien la réponse tient en deux mots : certificat expiré.

Equifax avait bien des outils de monitoring réseau. Des trucs sophistiqués qui analysent le trafic, détectent les anomalies, sonnent l’alarme quand quelque chose cloche. Sauf que ces outils ont besoin de déchiffrer le trafic SSL pour voir ce qui se passe. Et pour ça, il leur faut un certificat SSL valide. Sauf que le certificat d’Equifax avait expiré… 10 mois plus tôt. Personne ne l’avait renouvelé, du coup, tout le trafic chiffré passait sans être inspecté. Les hackers pouvaient donc exfiltrer des gigaoctets de données chaque jour, et c’était invisible pour les systèmes de sécurité.

Dommage…

Et les hackers sont malins. Ils ne veulent pas se faire repérer, alors ils procèdent méthodiquement. Ils compressent les données en petits paquets de 10 MB. Ils utilisent 34 serveurs relais dans 20 pays différents pour masquer leur origine. Ils effacent les logs au fur et à mesure. C’est du travail de pro, le genre d’opération que seul un État peut financer et organiser.

Entre mai et juillet 2017, ils aspirent tout : 145,5 millions de numéros de sécurité sociale, 147 millions de noms et dates de naissance, 99 millions d’adresses, 209 000 numéros de cartes de crédit avec leurs dates d’expiration, 182 000 documents personnels contenant des informations sur les litiges de crédit. Sans oublier les permis de conduire de 10,9 millions d’Américains et les données de 15,2 millions de Britanniques et 19 000 Canadiens. C’est le casse du siècle, version numérique.

Pendant ce temps, la vie continue chez Equifax. Richard Smith touche son bonus de 3 millions de dollars pour l’année 2016. Susan Mauldin, la Chief Musician Security Officer, gère la sécurité de l’entreprise tranquillou. Les affaires tournent, l’action monte. Tout va bien dans le meilleur des mondes. C’est déjà le troisième incident de sécurité majeur depuis 2015, mais bon, qui compte ?

L’action Equifax continuait de grimper pendant que les hackers pillaient les données

Puis le 29 juillet 2017, un samedi, un administrateur système décide enfin de renouveler ce fameux certificat SSL expiré. Probablement un stagiaire qui s’ennuyait ou un admin consciencieux qui faisait du ménage. Dès que le nouveau certificat est installé, les outils de monitoring se remettent à fonctionner, et là, c’est la panique ! Le système détecte immédiatement du trafic suspect vers la Chine avec des gigaoctets de données qui sortent du réseau.

L’équipe sécurité est alors appelée en urgence. Ils coupent l’accès au portail ACIS, analysent les logs (ceux qui n’ont pas été effacés), et commencent à réaliser l’ampleur du désastre. Le 30 juillet, ils appellent Mandiant, la Rolls-Royce des entreprises de sécurité informatique rachetée par FireEye, spécialisée dans les incidents de ce type et qui avait déjà enquêté sur les attaques de l’Unit 61398.

Et le 31 juillet, Graeme Payne informe Richard Smith de la situation. Le CEO comprend immédiatement que c’est une catastrophe. Smith dira plus tard au Congrès : “J’étais ultimement responsable de ce qui s’est passé sous ma surveillance.” Mais au lieu d’informer immédiatement le public, la direction décide d’abord de… “gérer la situation en interne”.

Et c’est là que l’histoire devient vraiment sale. Le 1er et 2 août, alors que seule une poignée de dirigeants connaît l’ampleur de la fuite, trois executives d’Equifax vendent pour 1,8 million de dollars d’actions. Le CFO John Gamble vend pour 946 000$, le président de l’unité US Information Solutions Joseph Loughran pour 584 000$, et le président de Workforce Solutions Rodolfo Ploder pour 250 000$. Pure coïncidence, bien sûr.

Plus tard, une enquête interne conclura qu’ils n’étaient pas au courant de la fuite au moment de la vente. Smith témoignera devant le Congrès : “Nous avons notifié le FBI et engagé un cabinet d’avocats le 2 août. À ce moment-là, nous ne voyions qu’une activité suspecte. Les trois individus ont vendu leurs actions les 1er et 2 août. Nous n’avions aucune indication de brèche de sécurité à ce moment.” Permettez-moi d’être sceptique car c’est une sacrée coïncidence de vendre ses actions juste avant l’annonce d’une catastrophe qui va faire chuter le cours de 35%.

Pendant ce temps, Mandiant mène son enquête. Leurs experts reconstituent le puzzle, identifient la vulnérabilité Apache Struts, découvrent les fichiers de mots de passe en clair, tracent les connexions vers la Chine via les 34 serveurs relais. Le rapport est accablant : négligence à tous les niveaux, absence de segmentation réseau, données sensibles non chiffrées, monitoring défaillant, 120 millions de numéros de sécurité sociale stockés en clair, données de cartes de crédit dans des fichiers Excel sans protection. C’est un manuel de ce qu’il ne faut pas faire en sécurité informatique.

Le 7 septembre 2017, six semaines après la découverte, Equifax annonce enfin publiquement la faille. Le communiqué est un chef-d’œuvre de langue de bois corporate : “Equifax a subi un incident de cybersécurité potentiellement impactant environ 143 millions de consommateurs américains.” Potentiellement ? 143 millions, c’est 44% de la population des États-Unis !

La réaction est immédiate et brutale. L’action chute en bourse de 13% en quelques heures, passant de 142$ à 92$ en quelques jours. Les médias s’emparent de l’affaire et John Oliver dédie un segment entier de “Last Week Tonight” au désastre, expliquant que si ça n’était pas arrivé pendant une période où chaque jour les gros titres étaient “Tout Part en Couilles Encore Aujourd’hui”, le hack d’Equifax aurait été LA nouvelle du mois. Les politiciens demandent des comptes et plus de 52 000 plaintes sont déposées. Les class actions pleuvent.

Et les 147 millions de victimes ? Elles découvrent qu’elles sont peut-être victimes d’un vol d’identité sans avoir jamais entendu parler d’Equifax.

Mais attendez, ça devient encore pire car Equifax met en place un site web pour que les gens puissent vérifier s’ils sont affectés : equifaxsecurity2017.com. Sauf que le site est tellement mal fait que les experts en sécurité pensent que c’est un site de phishing ! Brian Krebs, expert renommé en sécurité, qualifie la réponse d’Equifax de “dumpster fire” (feu de poubelle)et un développeur, Nick Sweening, achète même le domaine securityequifax2017.com pour démontrer à quel point c’est facile de créer un site de phishing crédible.

Et vous voulez savoir le plus drôle ?

Le compte Twitter officiel d’Equifax tweetera huit fois le lien vers le FAUX site !

En plus, les termes et conditions du site incluent une clause d’arbitrage qui stipule que si vous utilisez le site pour vérifier si vous êtes affecté, vous renoncez à votre droit de poursuivre Equifax en justice ! La grogne est telle qu’ils doivent retirer cette clause après quelques jours. Sans compter que le site retourne des résultats apparemment aléatoires. Par exemple, des journalistes testent avec des fausses données et obtiennent quand même des réponses.

Le 15 septembre, à peine une semaine après l’annonce publique, Susan Mauldin, la CSO, “prend sa retraite”. David Webb, le CIO, fait de même. Et leurs profils LinkedIn disparaissent comme par magie. Même leurs interviews sont retirées d’Internet. Equifax utilise d’ailleurs le mot “retraite” plutôt que “licenciement”, ce qui signifie qu’ils partent probablement avec de confortables indemnités.

Et le 26 septembre, c’est au tour de Richard Smith. Le CEO “prend sa retraite” lui aussi, mais contrairement à ses subordonnés, on connaît exactement ce qu’il emporte : 90 millions de dollars. Oui, vous avez bien lu. 90 millions. 72 millions pour 2017 (salaire + stocks + options), plus 18,4 millions de retraite. Pendant que 147 millions d’Américains vont devoir surveiller le montant de leurs crédits pour le reste de leur vie, lui part avec l’équivalent de 61 cents par victime.

Techniquement, il ne touche pas de prime de départ puisqu’il “démissionne”. Mais il garde toutes ses stock-options et ses droits à la retraite. C’est beau, le capitalisme américain, quand même non ?

Richard Smith est parti avec un parachute doré de 90 millions de dollars

Pendant ce temps, Graeme Payne, le CIO qui avait supervisé les scans de sécurité ratés, se fait virer le 2 octobre. Pas de retraite dorée pour lui. Il est désigné comme bouc émissaire pour ne pas avoir fait suivre un email sur la vulnérabilité Apache Struts. Dans son témoignage au Congrès, il dira : “Dire qu’un vice-président senior devrait faire suivre chaque alerte de sécurité à des équipes trois ou quatre niveaux en dessous… ça n’a aucun sens. Si c’est le processus sur lequel l’entreprise doit compter, alors c’est ça le problème.

L’enquête du Congrès est un spectacle en soi. Le 4 octobre 2017, pendant que Smith témoigne devant le Senate Banking Committee, une activiste nommée Amanda Werner, déguisée en Rich Uncle Pennybags (le Monopoly Man), s’assoit juste derrière lui.

Pendant toute l’audition, elle essuie son front avec des faux billets de 100$, ajuste son monocle et twirle sa moustache. Les images deviennent virales instantanément. Werner expliquera plus tard : “Je suis habillée en Monopoly Man pour attirer l’attention sur l’utilisation par Equifax et Wells Fargo de l’arbitrage forcé comme carte ‘sortie de prison gratuite’ pour leurs méfaits massifs.

Amanda Werner déguisée en Monopoly Man trollant l’audition au Sénat

Le témoignage de Smith devant le Congrès révèle l’ampleur de l’incompétence. Les sénateurs, notamment Elizabeth Warren, le grillent sur le timing suspect des ventes d’actions et les failles de sécurité. Warren est particulièrement féroce, demandant pourquoi Equifax a obtenu un contrat de sécurité avec l’IRS après le hack.

Le rapport du Government Accountability Office qui s’en suivra est cinglant : “Equifax n’a pas segmenté ses bases de données pour limiter l’accès, n’a pas chiffré les données sensibles, et n’a pas maintenu à jour ses certificats de sécurité.” En gros, ils ont fait absolument tout ce qu’il ne fallait pas faire. Le rapport révèle aussi que le système ACIS datait littéralement des années 1970 et n’avait jamais été vraiment modernisé.

Mais le plus fou dans tout ça, c’est que malgré l’ampleur du désastre, les conséquences pour Equifax ont été… limitées. En juillet 2019, ils acceptent un accord avec la FTC de 575 millions de dollars, extensibles à 700 millions. Ça paraît énorme, mais divisé par 147 millions de victimes, ça fait moins de 4 dollars par personne.

Les victimes peuvent réclamer jusqu’à 125$ en cash, ou 10 ans de monitoring de crédit gratuit. Mais y’a un hic que personne n’a vu venir… le fond prévu pour les paiements n’est que de 31 millions. Avec 147 millions de victimes potentielles, si seulement 248 000 personnes demandent les 125$, le fond est vide. Au final, 4,5 millions de personnes réclament le cash. Alors la plupart des gens qui demandent cet argent cash reçoivent… 7 dollars. Pas 21 cents comme initialement calculé par les pessimistes, mais pas 125$ non plus. Sept malheureux dollars pour avoir eu toute leur vie financière exposée.

Pendant ce temps, Equifax se porte bien. Leur action, qui était tombée à 92$ après le hack, est remontée à plus de 240$ en 2025. Ils ont même eu le culot d’essayer de vendre des services de protection d’identité TrustedID Premier aux victimes. “Vos données ont été volées à cause de notre négligence, mais pour 19,99$ par mois, on peut surveiller si quelqu’un les utilise !” Le cynisme à l’état pur. Sans compter que les termes d’utilisation de TrustedID incluaient initialement une clause d’arbitrage forcé où en vous inscrivant, vous renonciez à votre droit de les poursuivre.

Et les hackers chinois ?

En février 2020, le département de Justice inculpe officiellement Wu Zhiyong, Wang Qian, Xu Ke et Liu Lei. Les charges sont fraude informatique, espionnage économique, fraude électronique. Le grand jury d’Atlanta retient neuf chefs d’accusation contre eux mais c’est symbolique car comme vous le savez, ils sont en Chine, intouchables. Ils ne seront jamais extradés ni jugés et cela même si le FBI a bien mis leurs photos sur son site “Wanted”, avec une récompense pour toute information… Mais tout le monde sait que c’est du théâtre.

L’ironie, c’est que malgré le vol de 147 millions d’identités, y’a eu étonnamment peu de cas de fraude directement liés au hack Equifax. Une étude de Carnegie Mellon University l’a même confirmé.

Pourquoi ? Et bien parce que les hackers étaient des espions du 54th Research Institute, et pas des criminels de droit commun. Leur but n’était donc pas de vendre les données sur le dark web ou de vider des comptes bancaires. C’était de l’espionnage d’État, probablement pour identifier des cibles potentielles pour le recrutement, des agents à retourner, ou simplement pour constituer une base de données géante sur la population américaine pour de futures opérations.

Mais ça ne rend pas la situation moins grave, au contraire car quelque part en Chine, y’a une base de données avec les informations personnelles et financières de la moitié de la population américaine. Et ces données ne périment pas… Dans 10, 20, 30 ans, elles seront toujours utilisables puisque les numéros de sécurité sociale ne changent pas. C’est donc une épée de Damoclès permanente au-dessus de la tête de 147 millions de personnes.

Ce hack a eu pour effet d’accélérer l’adoption de lois sur la protection des données. Le CCPA (California Consumer Privacy Act) et d’autres réglementations similaires sont en partie une réponse au hack d’Equifax. L’idée que des entreprises puissent collecter et stocker des données sensibles sans le consentement explicite des consommateurs et sans protection adéquate est devenue inacceptable. Smith lui-même a suggéré dans son témoignage de remplacer les numéros de sécurité sociale par un système plus sécurisé, proposant un “partenariat public-privé pour évaluer comment mieux protéger les données des Américains”.

Mais fondamentalement, le modèle n’a pas changé. Equifax, Experian et TransUnion continuent de collecter les données des américains sans leur permission. Elles continuent de les vendre à qui veut payer. Et elles continuent d’être des cibles de choix pour les hackers du monde entier. D’ailleurs, hasard de la publication, TransUnion vient en 2025 d’être victime d’un hack, exposant les numéros de sécu de 4,4 millions d’américains. L’histoire se répète…

Bref, ce hack d’Equifax, c’est l’histoire de la faillite d’un système. Un système où des entreprises privées ont un pouvoir démesuré sur des vies, sans avoir de comptes à rendre. Un système où la négligence criminelle est punie par une tape sur les doigts et un golden parachute de plusieurs millions de dollars. Un système où les victimes sont laissées à leur compte pendant que les responsables s’en tirent….

Mais c’est aussi une leçon sur le danger de la dette technique accumulée depuis les années 1970. Sur la nécessité de régulations strictes pour protéger les données personnelles. Et surtout, sur le fait qu’aucune entreprise n’est “too big to fail” quand il s’agit de cybersécurité. Si vous pouvez être hacké avec “admin/admin”, vous méritez presque de couler, d’ailleurs…

Aujourd’hui, en 2025, Equifax a un nouveau CEO, Mark Begor, un nouveau CISO (un vrai cette fois), Jamil Farshchi, ancien de Visa et Time Warner, et des procédures de sécurité renforcées.

Quoiqu’il en soit, dans le monde de la collecte de données, nous ne sommes pas des clients. Nous sommes le produit. Et quand le produit est volé, c’est encore nous qui en payons encore le prix.

Et c’est ça, le vrai scandale.

Sources : Rapport officiel du Congrès américain sur le breach Equifax (2018) , Inculpation du Department of Justice contre les hackers chinois (2020) , Rapport du Government Accountability Office , Témoignage de Richard Smith devant le Congrès (2017) , Analyse technique de la vulnérabilité Apache Struts CVE-2017-5638 , Settlement FTC-Equifax (2019) , Rapport Mandiant sur l’investigation forensique , Timeline détaillée du breach - CSO Online , John Oliver sur Last Week Tonight , Interview d’Amanda Werner, le “Monopoly Man”

À partir d’avant-hierFlux principal

Troy Hunt - L'histoire du créateur de Have I Been Pwned

Par : Korben
23 août 2025 à 13:37
Cet article fait partie de ma série de l’été spécial hackers. Bonne lecture !

Alors là, accrochez-vous bien parce que l’histoire de Troy Hunt, c’est un peu comme si Superman décidait de troquer sa cape contre un clavier et de sauver le monde depuis son bureau. Sauf qu’au lieu de voler et de porter des slips par-dessus son pantalon, il tape du code et sauve vos mots de passe compromis. Troy Hunt, c’est le mec qui a créé Have I Been Pwned, ce service gratuit qui vous dit si vos données traînent quelque part sur le dark web. Et croyez-moi, son parcours est complètement dingue !

La première fois que j’ai testé mon email sur son site, j’ai découvert avec horreur que mes données avaient fuité dans je-sais-plus-combien de hacks. Ce jour-là, j’ai réalisé l’ampleur du travail de ce type. Il a créé, à lui tout seul, un service qui aujourd’hui référence plus de 14,4 milliards de comptes compromis dans 845 fuites de données différentes. C’est presque deux fois la population mondiale ! Franchement, c’est du lourd.

Troy Hunt - Source

Troy Hunt naît en Australie, et contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas un gamin des plages qui passe son temps à surfer. Non, lui, il préfère démonter des consoles de jeux “pour voir ce qui les fait marcher”. Le geek était déjà là ! Après des années d’itinérance familiale, Troy finit par s’installer sur la Gold Coast australienne, ce paradis ensoleillé où il vit toujours aujourd’hui avec sa femme Charlotte et leurs deux enfants.

La Gold Coast en Australie, où Troy vit depuis des années

Le truc dingue avec Troy, c’est qu’à l’université dans les années 90, il veut apprendre le développement web mais son école n’offre aucun cours sur Internet ! Imaginez un peu : le web explose, et les universités australiennes sont encore en mode “Internet ? C’est quoi ce truc ?” Alors Troy fait ce que font tous les vrais passionnés, il apprend tout seul. Et en 1995, alors que le web n’a que quelques années, il construit déjà des applications web professionnelles. Autodidacte niveau super chef !

Pendant ses premières années de carrière, Troy touche à tout. Finance, médias, santé… Il accumule l’expérience comme Mario collecte des pièces. Mais c’est en 2001 que sa vie prend un tournant décisif quand il décroche un job chez Pfizer à Sydney. Oui, Pfizer, le géant pharmaceutique !

Au début, c’est le rêve américain version australienne. Il code, il construit des systèmes, il gère des applications cliniques critiques. Il commence comme simple développeur, mais ses compétences le propulsent rapidement au poste d’architecte logiciel pour toute la région Asie-Pacifique. C’est énorme ! Il supervise des systèmes qui gèrent les essais cliniques, rapportent les effets indésirables, optimisent les opérations dans une quinzaine de pays. Le mec est responsable de l’infrastructure tech d’une des plus grosses boîtes pharma du monde pour toute une région géographique !

Mais voilà le hic… Au fur et à mesure que Troy grimpe les échelons, il s’éloigne de ce qu’il aime vraiment : coder. “Je ne faisais plus de code”, raconte-t-il avec amertume. “J’attendais des autres qu’ils le fassent, et je me sentais déconnecté.” Cette frustration grandit comme une démangeaison qu’on ne peut pas gratter. Il manage des gens au lieu de coder, passe ses journées en réunions au lieu de construire des trucs. Le syndrome classique du développeur devenu manager malgré lui !

Pour compenser, Troy lance des projets perso le soir et les weekends. Il crée son blog troyhunt.com, où il partage ses connaissances sur la sécurité web. En septembre 2011, il lance ASafaWeb (Automated Security Analyser for ASP.NET Websites), un outil précurseur qui analyse automatiquement la sécurité des sites ASP.NET. L’idée lui vient de son taf chez Pfizer : “Je passais un temps fou à tester des trucs basiques puis expliquer pourquoi c’était important aux développeurs.” ASafaWeb automatise tout ça. Génial ! L’outil tournera pendant 7 ans avant d’être mis à la retraite en novembre 2018.

En parallèle, Troy devient l’un des instructeurs stars de Pluralsight avec ses cours sur l’OWASP Top 10 et sa série culte “Hack Yourself First”. Son approche ? Apprendre aux développeurs à penser comme des hackers pour mieux se défendre. Plus de 32 000 personnes suivent ses cours, totalisant 78 000 heures de visionnage ! Pendant que ses collègues de Pfizer regardent Netflix, Troy construit méthodiquement sa réputation dans la cybersécurité. En 2011, il devient même Microsoft MVP (Most Valuable Professional), et sera nommé MVP de l’année la même année !

Les cours de Troy Hunt sur Pluralsight sont devenus cultes

Le vrai déclic arrive à l’automne 2013. Troy analyse les fuites de données qui se multiplient et remarque un schéma inquiétant : ce sont toujours les mêmes personnes qui se font pirater, souvent avec les mêmes mots de passe pourris. Les victimes n’ont aucune idée qu’elles sont exposées et continuent d’utiliser “password123” partout. C’est la catastrophe !

Et puis arrive le coup de grâce : la fuite Adobe du 3 octobre 2013. Au début, Adobe minimise… “Juste 3 millions de cartes compromises, rien de grave !” Puis ils passent à 38 millions. Mais quand Brian Krebs de KrebsOnSecurity creuse l’affaire, la réalité explose : 153 millions de comptes compromis ! Troy analyse les données et il est horrifié. Non seulement les mots de passe sont mal chiffrés (avec un chiffrement 3DES réversible au lieu d’un hash irréversible), mais Adobe a stocké les indices de mots de passe en clair ! Genre “nom de mon chien + année de naissance”. Les hackers ont tout. C’est un carnage absolu !

Troy réalise alors l’injustice fondamentale de la situation. Les criminels téléchargent des gigas de données volées sur des torrents et analysent tranquillement qui utilise quel mot de passe où. Mais Monsieur et Madame Tout-le-monde ? Ils n’ont aucun moyen de savoir s’ils ont été compromis. C’est complètement déséquilibré !

Alors le 4 décembre 2013, Troy lance Have I Been Pwned. Au début, c’est minuscule… juste 5 fuites indexées (Adobe, Stratfor, Gawker, Yahoo! Voices et Sony Pictures). Mais le concept est brillant dans sa simplicité. Tu entres ton email, le site te dit si tu as été pwned. Point. Pas de pub, pas d’inscription, pas de collecte de données supplémentaires. Juste un service gratuit pour aider les gens. “Je voulais que ce soit ultra simple et accessible pour bénéficier au maximum à la communauté”, explique-t-il.

L’interface originale de Have I Been Pwned en 2013

Le succès est immédiat et exponentiel. Les gens découvrent avec horreur que leurs données sont partout. Le site devient viral. En quelques semaines, les médias s’emparent du sujet. Troy ajoute fuite après fuite, breach après breach.

Ce qui est sympa également, c’est l’architecture technique. Troy utilise Windows Azure (maintenant Microsoft Azure) pour gérer une montée en charge astronomique. On parle de 150 000 visiteurs uniques par jour en temps normal, 10 millions lors des gros incidents. Les données sont stockées dans Azure Table Storage, une solution NoSQL qui permet de gérer des milliards d’enregistrements pour quelques dollars par mois. Les mots de passe compromis sont servis via Cloudflare avec un cache hit ratio de 99,9% sur 335 edge locations dans 125+ pays. L’API Pwned Passwords traite aujourd’hui plus de 13 milliards de requêtes par mois ! Et le plus fou ? Tout ça tourne pour moins de 300$ par mois. L’efficacité à l’état pur !

Pendant ce temps, chez Pfizer, Troy est de plus en plus malheureux. “Vers la fin, je redoutais d’aller au travail”, avoue-t-il. Se lever avec la boule au ventre, c’est le signe qu’il faut changer de job. En avril 2015, le destin frappe : Pfizer annonce que son poste est supprimé dans une restructuration. Licencié après 14 ans ! Mais au lieu de déprimer, Troy ressent… du soulagement ! “Je me sentais enfin libre de me concentrer sur HIBP et d’autres projets indépendants.

Troy célébrant son “indépendance” après son licenciement de Pfizer

Se faire virer devient la meilleure chose qui lui soit arrivée ! Troy devient consultant indépendant et se lance à fond. Il donne des workshops dans le monde entier : banques centrales, gouvernements, entreprises du Fortune 500. Il fait des keynotes à Black Hat, DEF CON, NDC. Plus de 100 workshops et autant de conférences en quelques années. Le développeur frustré de Pfizer est devenu une rockstar mondiale de la cybersécurité !

Mais c’est Have I Been Pwned qui reste son bébé. En janvier 2019, Troy découvre “Collection #1”, une méga-fuite de 773 millions d’emails uniques et 21 millions de mots de passe uniques, totalisant 2,7 milliards de combinaisons email/password. C’est la plus grosse fuite jamais vue ! L’analyse révèle que c’est une compilation de plus de 2000 fuites précédentes, avec 140 millions de nouveaux emails jamais vus auparavant.

Aujourd’hui en 2025, HIBP a catalogué plus de 845 fuites et 14,4 milliards de comptes pwned. Le service est utilisé par 40 gouvernements dans le monde pour monitorer leurs domaines officiels. La Malaisie est même la première nation asiatique à l’adopter officiellement. Des agences comme le FBI, la CISA, le RCMP canadien et le NCA britannique collaborent activement avec Troy, lui fournissant des mots de passe compromis découverts lors de leurs enquêtes.

Le nouveau look de HIBP en 2025

Le truc génial avec Troy, c’est qu’il refuse de monétiser HIBP de façon agressive. Le service reste gratuit pour les particuliers. Il fait payer uniquement les entreprises qui veulent utiliser l’API pour vérifier en masse. Sa philosophie est claire : “Je ne stocke pas les mots de passe. Néant. Que dalle. Je n’en ai pas besoin et je ne veux pas de cette responsabilité. Tout ça, c’est pour sensibiliser à l’ampleur des fuites.

Cette approche éthique lui vaut une reconnaissance mondiale. En novembre 2017, il témoigne devant le Congrès américain sur l’impact des fuites de données. En février 2022, il reçoit le prestigieux Mary Litynski Award du M3AAWG pour avoir rendu Internet plus sûr. Même le FBI lui a filé une médaille ! Pas mal pour un mec qui a appris le web tout seul !

Un aspect méconnu, c’est le rôle crucial de sa femme Charlotte. Elle a coordonné les conférences NDC (Norwegian Developers Conference) dans le monde entier de 2013 à 2021. Quand elle rejoint HIBP en 2021 comme Chief Operating Officer, elle gère tout ce qui n’est pas technique : onboarding des clients, tickets d’API, compta, taxes internationales…

Charlotte Hunt, la moitié opérationnelle du duo

Charlotte est à la fois ma femme et la chef de toutes les opérations chez HIBP”, explique Troy avec affection. Sans elle, impossible de gérer un service utilisé par des millions de personnes. C’est le duo parfait !

Mais Troy n’est pas qu’un héros de la cybersécurité. En février 2017, il révèle les vulnérabilités critiques de CloudPets, des peluches connectées qui ont exposé 820 000 comptes et 2,2 millions de fichiers audio d’enfants parlant à leurs doudous. Les enregistrements étaient accessibles sans authentification sur des serveurs MongoDB mal configurés ! Son investigation force Spiral Toys à sécuriser d’urgence et sensibilise le monde aux dangers de l’IoT mal sécurisé.

Troy recevant les honneurs pour son travail

Un des aspects les plus impressionnants, c’est sa capacité à vulgariser. Sur son blog, il explique des concepts complexes avec une clarté cristalline. Ses articles sur Collection #1 ou l’analyse des mots de passe Adobe sont des masterclass de pédagogie. Il a créé toute une philosophie autour de la “culture de la sécurité” : “La sécurité doit être en tête des priorités pour TOUS les professionnels de la tech, pas juste l’équipe sécu.” Cette vision révolutionne la façon dont les entreprises abordent la cybersécurité.

Et même les experts se font avoir ! Dans un exemple d’humilité rafraîchissante, Troy a admis publiquement s’être fait avoir par un email de phishing sophistiqué. Cette transparence renforce encore sa crédibilité. Le mec assume ses erreurs, c’est ça qui est beau !

L’impact technique de HIBP est phénoménal. L’API Pwned Passwords utilise un modèle k-anonymity génial où au lieu d’envoyer votre mot de passe en clair, vous envoyez les 5 premiers caractères du hash SHA-1, le serveur répond avec tous les hashs correspondants (environ 400), et votre navigateur vérifie localement. Résultat, votre mot de passe n’est jamais transmis, même pas à Troy ! C’est de la privacy by design à l’état pur. Des géants comme 1Password, Firefox et Google Chrome intègrent maintenant cette API pour vérifier si vos mots de passe ont fuité.

Le plus fou dans tout ça c’est que Troy continue de développer HIBP avec passion. En 2025, il a ajouté le support des données de “stealer logs” (malwares qui volent les identifiants), intégrant 231 millions de mots de passe uniques supplémentaires. Il travaille avec le FBI et le NCA britannique qui lui fournissent régulièrement des données saisies lors d’opérations contre les cybercriminels.

Aujourd’hui, Troy vit toujours sur la Gold Coast, “la partie ensoleillée du pays ensoleillé !” comme il aime dire. Il continue de développer HIBP, donne des conférences dans le monde entier (quand il n’est pas en train de faire du jetski ou de piloter des voitures de sport sur circuit), et reste l’une des voix les plus respectées de la cybersécurité mondiale.

Ce qui est dingue avec Troy Hunt, c’est qu’il a transformé une frustration personnelle (ne plus coder chez Pfizer) en service public mondial. Il a créé quelque chose que même les gouvernements n’avaient pas pensé à faire. Et il l’a fait gratuitement, par pure passion pour la sécurité. Dans un monde où tout se monétise, où chaque startup cherche la licorne, Troy reste fidèle à ses principes : aider les gens à rester safe online.

Si ça c’est pas inspirant, franchement, je sais pas ce qui l’est ! Le mec a littéralement changé la façon dont le monde entier gère les fuites de données. Et il continue, breach après breach, à nous protéger de nos propres mauvaises habitudes de sécurité. Respect total.

Sources : Troy Hunt - About, Have I Been Pwned - About, A Decade of Have I Been Pwned, Introducing Have I Been Pwned, Adobe credentials and password hints, Wikipedia - Troy Hunt, Welcome to ASafaWeb, Pluralsight - Troy Hunt, KrebsOnSecurity - Adobe Breach, Collection #1 Data Breach, M3AAWG Mary Litynski Award, HIBP Azure Function GitHub

Ashley Madison - Le hack qui a détruit des vies

Par : Korben
26 juillet 2025 à 13:37

Cet article fait partie de ma série de l’été spécial hackers. Bonne lecture !

Je vais enfin vous raconter dans les moindres détails l’histoire du hack le plus dévastateur de l’ère numérique. Pas en termes techniques, non, non… Mais plutôt en termes humains.

Ashley Madison, le site qui promettait des aventures extraconjugales discrètes avec son slogan “Life is short. Have an affair” (La vie est courte. Ayez une aventure) et dont les 37 millions d’utilisateurs inscrits pensaient que leurs secrets étaient en sécurité derrière leur mot de passe.

Grossière erreur.

Car en juillet 2015, un groupe mystérieux appelé Impact Team a décidé de faire tomber ce château de cartes. Et les conséquences ont été violentes. Des suicides documentés, des divorces par milliers, des carrières pulvérisées, et la révélation que le PDG lui-même, Noel Biderman, celui qui paradait dans les médias comme un mari fidèle, entretenait plusieurs liaisons payantes. Bref, voici l’histoire complète du hack qui a prouvé que sur Internet, il n’y a aucun secret qui tienne.

Ashley Madison - Le site qui a appris au monde entier que la discrétion absolue n’existait pas

L’histoire commence en 2001 avec Darren J. Morgenstern, un entrepreneur franco-canadien qui a l’idée de créer un site de rencontres pour personnes mariées. Le nom “Ashley Madison” combine alors simplement les deux prénoms féminins les plus populaires de l’époque. Le concept est révolutionnaire et controversé : un site assumant complètement l’adultère.

Mais c’est Noel Biderman qui va transformer cette idée en empire. Né le 24 novembre 1971 à Toronto, petit-fils de survivants de l’Holocauste, diplômé d’Osgoode Hall Law School en 1996, Biderman est avocat devenu agent sportif.

En 2007, Morgenstern vend Ashley Madison à Avid Life Media, et Biderman en devient le PDG. C’est là que l’histoire devient vraiment intéressante. Car Biderman, qui gérait les affaires sentimentales compliquées de ses clients athlètes, jonglant entre épouses et maîtresses, comprend parfaitement tout le potentiel du site.

Le concept est révolutionnaire pour l’époque et contrairement aux sites de rencontres classiques, Ashley Madison assume complètement son côté sulfureux. Pas de faux-semblants, pas d’hypocrisie. Vous êtes marié et vous voulez une aventure ? Venez chez nous, on s’occupe de tout. Le site garantit la discrétion absolue (spoiler : c’était du flanc), les profils peuvent être anonymes, les photos floutées, les paiements discrets sur les relevés bancaires.

Noel Biderman : le PDG “fidèle” qui cachait bien son jeu

Biderman transforme alors progressivement ce petit site canadien en empire mondial avec une stratégie marketing ultra-agressive. Des pubs pendant le Super Bowl (qui ont été refusées), des panneaux d’affichage géants, des campagnes provocantes. Biderman lui-même devient le visage du site, paradant dans les médias avec sa femme Amanda, une Sud-Africaine avec un background en marketing.

Et c’est là que ça devient croustillant car Biderman joue le parfait homme d’affaires familial. Marié depuis 2003, père de deux enfants, il répète partout : “Je suis fidèle à ma femme. Ashley Madison, c’est pour les autres, pas pour moi.” Amanda soutient publiquement son mari et son business controversé. Ils forment le couple parfait de l’hypocrisie entrepreneuriale.

Puis le site explose littéralement. En 2015, Ashley Madison revendique 37 millions d’utilisateurs dans 46 pays et le chiffre d’affaires annuel dépasse les 100 millions de dollars, avec des projections à 150 millions pour 2015. ALM possède aussi d’autres sites comme Established Men (pour les sugar daddies) et CougarLife. Mais Ashley Madison reste le fleuron, générant 90% des revenus.

La particularité d’Ashley Madison, c’est surtout son modèle économique. L’inscription est gratuite pour les femmes (histoire d’attirer du monde), payante pour les hommes et ces derniers doivent acheter des “crédits” pour envoyer des messages. Mais surtout, il y a cette fameuse option “Full Delete” à 19 dollars.

Pour ce prix, Ashley Madison promet d’effacer complètement votre profil et toutes vos données. “Removal of site usage history and personally identifiable information from the site”, disaient-ils. Rien que cette arnaque, euh pardon, cette option a rapporté 1,7 million de dollars en 2014.

Et c’est ce mensonge éhonté qui va tout déclencher.

Car en coulisses, la sécurité d’Ashley Madison est une vaste blague. En 2012, Raja Bhatia, le directeur technique fondateur, tire déjà la sonnette d’alarme. Dans un email interne, il prédit une “crise de sécurité éventuelle” qui pourrait “écorcher vive” la compagnie. Prophétique, le mec.

Et en mai 2015, Mark Steele, directeur de la sécurité, enfonce le clou. Dans un email à Biderman, il explique que leur code est “criblée” de vulnérabilités XSS et CSRF, faciles à exploiter pour n’importe quel script kiddie. Il mentionne aussi des failles plus graves comme l’injection SQL qui pourraient causer des fuites de données “beaucoup plus dommageables”. Les mots de passe étaient bien hachés avec bcrypt, mais tellement mal implémentés que 11 millions d’entre eux seront crackés en à peine 10 jours.

Mais Biderman et ALM s’en foutent royalement. La priorité, c’est la croissance et les profits, pas la sécurité. Cette négligence criminelle va leur coûter très, très cher…

Le 12 juillet 2015, les employés d’Avid Life Media arrivent au bureau pour un lundi pas comme les autres avec sur leurs écrans, un message menaçant : La musique “Thunderstruck” d’AC/DC résonne dans les bureaux et le message est signé “Impact Team”. Ce dernier menace de publier toutes les données de la compagnie et des 37 millions de clients si Ashley Madison et Established Men ne ferment pas immédiatement.

Le manifeste d’Impact Team est cinglant : “Avid Life Media a reçu l’ordre de retirer définitivement Ashley Madison et Established Men sous toutes ses formes, sous peine de voir toutes les données clients divulguées, y compris les profils contenant les fantasmes sexuels secrets des clients et les transactions correspondantes par carte de crédit, les noms et adresses réels, ainsi que les documents et e-mails des employés.

Ils accusent surtout ALM de mentir sur le service “Full Delete”. Selon eux, même après avoir payé 19 dollars, les vraies informations des utilisateurs restent dans les bases de données.

Le 19 juillet, Impact Team publie leur ultimatum sur Pastebin, donnant 30 jours à ALM pour fermer les sites. Brian Krebs, le célèbre journaliste spécialisé en cybersécurité, révèle alors l’affaire le même jour. C’est la panique totale chez ALM.

Le 20 juillet, Ashley Madison publie trois communiqués minimisant l’incident. Ils parlent d’une “tentative par un tiers non autorisée d’accéder à nos systèmes” et annoncent une enquête avec les forces de l’ordre et Cycura et le compte Twitter habituellement hyperactif du site devient aussi muet comme une carpe.

Pour prouver leur sérieux, le 21 juillet, Impact Team publie 2 500 dossiers d’utilisateurs et le 22 juillet, ils révèlent l’identité complète de deux utilisateurs : un homme de Brockton, Massachusetts, et un autre de l’Ontario. Un avertissement clair : on a tout et on n’hésitera pas.

Les théories fusent alors sur l’identité d’Impact Team. La plus crédible : un inside job. Noel Biderman lui-même déclare peu après : “Nous sommes sur le point de confirmer l’identité du coupable… J’ai son profil sous les yeux, avec toutes ses références professionnelles. Il s’agit sans aucun doute d’une personne qui n’était pas employée ici, mais qui a certainement eu accès à nos services techniques.” Un contractuel ? Un ancien employé viré ? Le mystère reste entier.

John McAfee, le fondateur controversé de l’antivirus éponyme, y va également de sa théorie. Selon lui, c’est “la seule employée femme” d’ALM et les dumps MySQL complets indiquent une connaissance intime de l’infrastructure. “Les hackers ont rarement une connaissance approfondie de la stack technique d’une cible.”, affirme-t-il. Une théorie jamais confirmée, vous vous en doutez, mais qui fait jaser.

Screenshot

Le plus troublant c’est qu’Impact Team semblerait être une seule personne et pas un groupe. Le style d’écriture, la nature personnelle de la vendetta, le fait qu’ils n’aient jamais existé avant et disparaissent après… Tout suggère un individu avec une rancune spécifique. En 2023, Brian Krebs révèle même que le principal suspect se serait suicidé en 2014, AVANT que le hack ne soit rendu public. Si c’est vrai, ça veut dire qu’Impact Team a planifié l’attaque, attendu plus d’un an, puis publié les données. Un niveau de patience dingue.

Puis le délai de 30 jours expire. Nous sommes le 18 aout 2015 et Ashley Madison est toujours en ligne. Impact Team passe alors à l’exécution de ses menaces. Il publie un fichier torrent de 9,7 gigaoctets sur le dark web, accessible uniquement via Tor. Le fichier est signé avec une clé PGP pour prouver son authenticité. À l’intérieur : les infos d’environ 37 millions d’utilisateurs.

Et ces données sont dévastatrices. Noms, emails, adresses, préférences sexuelles, fantasmes secrets, messages privés, transactions par carte de crédit. Même les utilisateurs qui avaient payé pour le “Full Delete” sont là. Impact Team avait donc raison : le service était une arnaque totale.

Full Delete - L’option de confidentialité qui n’en était pas une.

Internet s’enflamme et des dizaines de sites se montent, permettant de vérifier si votre email est dans la fuite. Les journalistes fouillent frénétiquement. Des milliers d’adresses .gov et .mil sont découvertes. Politiciens, militaires, religieux, personnalités publiques… Tout le monde y passe.

Le 20 août, Impact Team frappe encore plus fort avec un deuxième dump de 20 gigaoctets. Cette fois, c’est l’intérieur d’ALM qui est exposé : emails internes, code source, et surtout… 300 emails personnels de Noel Biderman.

Les révélations sont explosives puisque Biderman, Monsieur “Je suis super fidèle”, entretenait une liaison de trois ans avec une escort de Toronto nommée Melisa. Rendez-vous payants de juillet 2012 à mai 2015. D’autres femmes aussi. Les emails détaillent tout : les rencontres, les paiements, les mensonges à Amanda.

Un email particulièrement crade montre Biderman investissant dans une idée d’app appelée “What’s Your Wife Worth?” qui permettrait d’attribuer une valeur monétaire aux femmes selon leur attractivité. Même pour le PDG d’un site d’adultère, c’est too much.

L’email envoyé par le hacker d’Ashley Madison

Le 21 août, dans une interview avec Vice, Impact Team lâche alors une bombe sur la sécurité d’ALM : “Personne ne surveillait. Aucune sécurité. Nous avons travaillé dur pour rendre l’attaque totalement indétectable, puis nous sommes entrés et n’avons rien trouvé à contourner. Vous pouviez utiliser un MotDePasse1234 trouvé sur Internet pour vous connecter au VPN et accéder à tous les serveurs.” Hey oui, la sécurité chez Ashley Madison était tellement nulle qu’il n’y avait rien à contourner.

Malheureusement, les conséquences humaines commencent à se faire sentir. Le 24 août, la police de Toronto annonce deux suicides non confirmés liés à la fuite. Des “crimes de haine” sont rapportés. Chantage, harcèlement, violence domestique… Les victimes du hack deviennent victimes dans la vraie vie.

L’histoire la plus tragique est celle de John Gibson, 56 ans, pasteur et professeur au New Orleans Baptist Theological Seminary. Six jours après la publication, sa femme Christi retrouve son corps. Dans sa note de suicide, Gibson parle de sa honte, de sa dépression, de son addiction sexuelle qu’il combattait depuis 25 ans. Il s’excuse auprès de sa famille. D’autres suivront, comme le capitaine de police Michael Gorham de San Antonio.

Sam Rader, YouTubeur chrétien populaire avec sa chaîne “Sam and Nia”, est aussi exposé. Son compte “dirty_little_secret_man” fait surface. D’abord, il nie puis plus tard, dans le documentaire Netflix, il avouera avoir menti. Il cherchait de l’excitation pendant ses gardes de nuit comme infirmier.

Le 28 août 2015, Biderman démissionne. Un communiqué laconique indique que c’est “dans le meilleur intérêt de la compagnie”. Exit le millionnaire hypocrite. Bizarrement, Amanda ne l’a pas quitté et le couple semble toujours marié aujourd’hui. L’amour ou le fric ? Mystère.

Les conséquences légales sont également massives. En juillet 2017, Ruby Corporation (nouveau nom d’ALM) accepte de payer 11,2 millions de dollars pour régler les procès collectifs. La Federal Trade Commission impose également 17,5 millions d’amende, mais n’en collecte que 1,66 million vu les difficultés financières.

Mais le plus dingue c’est quand même qu’Ashley Madison a survécu. Après le hack, tout le monde prédisait sa mort. Hey oui car qui oserait encore s’inscrire ? Pourtant, sous une nouvelle direction, et avec une sécurité renforcée (authentification à deux facteurs, navigation chiffrée, conformité PCI), le site renaît. En 2017, ils revendiquaient même 50 millions d’utilisateurs. Il faut croire que la demande pour l’adultère en ligne n’a pas disparu.

Le site Ashley Madison en 2025

Impact Team disparaît complètement après les fuites. Aucune revendication ultérieure, aucune autre action et malgré les enquêtes du FBI, de la police canadienne, d’Interpol, personne n’est jamais arrêté. L’identité d’Impact Team reste le plus grand mystère non résolu de toute cette histoire.

Et pour la première fois, des millions de personnes réalisent que leur vie numérique secrète peut devenir publique du jour au lendemain. La notion de vie privée en ligne est redéfinie. Les entreprises comprennent également que la sécurité n’est plus optionnelle et les régulateurs durcissent les lois. Le RGPD européen de 2018 cite même explicitement des cas comme Ashley Madison pour justifier des amendes jusqu’à 4% du chiffre d’affaires mondial.

Sans oublier des documentaires Netflix comme “Ashley Madison: Sex, Lies & Scandal” et Hulu “The Ashley Madison Affair” qui remettent régulièrement l’histoire sur le devant de la scène.

Et Noel Biderman dans tout ça ? Et bien il a su rebondir. Depuis 2024, il est PDG d’Avenue Insights à Toronto et conseiller stratégique chez WonderFi. Loin des projecteurs, il parle de ses nouveaux projets “éthiques” et sur LinkedIn, son profil reste très vague sur la période 2007-2015. L’ombre d’Ashley Madison le suivra pour toujours.

Aujourd’hui, quand on tape “Ashley Madison” dans Google, les premiers résultats sont les articles sur le hack, pas le site. C’est devenu LE cas d’école en cybersécurité, éthique numérique, psychologie sociale mais pour les millions de personnes exposées, c’est une blessure qui ne guérira jamais car les données sont toujours là, sur le dark web, prêtes à ressurgir telles une épée de Damoclès éternelle.

Alors la prochaine fois que vous créez un compte quelque part, pensez-y. Ne mettez jamais en ligne ce que vous ne voudriez pas voir en première page des médias car a question n’est pas “si” vos données seront diffusées mais “quand” et par “qui”.

Sources : Wikipedia - Ashley Madison data breach, Krebs on Security - Ashley Madison Hacked, Tripwire - Ashley Madison Timeline, Vice - Impact Team Interview, Washington Post - John Gibson, Screen Rant - Noel Biderman, Auburn University - Ashley Madison Case Study

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