Aaron Swartz - Le génie qui a changé le web
Vous savez ce qui différencie un grand chef d’un cuistot lambda ? Le grand chef invente les recettes que tout le monde copiera pendant des décennies. Aaron Swartz, c’est un peu le Escoffier du web, sauf qu’au lieu de codifier la sauce hollandaise, il a inventé RSS, co-fondé Reddit et co-créé Markdown avant même d’avoir son permis de conduire. Et comme tous les révolutionnaires, il a fini par déranger le pouvoir en place jusqu’à en mourir.
Je connaissais Aaron Swartz de réputation depuis des années, mais c’est en lisant son histoire après sa mort que j’ai réalisé à quel point ce gamin était un phénomène.
L’histoire d’Aaron Swartz, c’est celle d’un gamin né le 8 novembre 1986 à Highland Park, à 40 kilomètres au nord de Chicago, dans une famille juive où la tech coule dans les veines. Son père Robert avait fondé la boîte de logiciels Mark Williams Company (créateurs du compilateur C Coherent), sa mère Susan était consultante et il a deux frères plus jeunes, Noah et Ben. Bref, l’environnement parfait pour éclore en tant que prodige de l’informatique. Mais Aaron, c’était pas juste un nerd qui collectionnait les lignes de code comme d’autres collectionnent les cartes Pokémon. Dès le début, il avait cette vision révolutionnaire que la technologie devait servir à libérer l’humanité, pas à l’enfermer.
L’icône RSS, symbole du format co-développé par Aaron à 14 ans
À 3 ans donc, pendant que les autres gamins découvraient les joies du pot, Aaron découvrait les joies du clavier. Ses parents racontent qu’il passait des heures devant l’écran, pas pour jouer, mais pour comprendre comment ça marchait. Le genre de gosse qui démonte son réveil pour voir ce qu’il y a dedans, mais version 2.0. Et ça n’a jamais cessé puisqu’à 12 ans, en 1999, il lance The Info Network, une encyclopédie collaborative où n’importe qui pouvait ajouter ou modifier du contenu. Vous me direz, c’est exactement le principe de Wikipedia… sauf que Wikipedia n’a été lancé qu’en janvier 2001. Aaron avait donc 2 ans d’avance sur l’un des sites les plus connus du web.
Ce projet lui vaut d’ailleurs le prix ArsDigita en 1999, récompensant les jeunes qui créent des sites “utiles, éducatifs et collaboratifs”. À 13 ans, il était déjà reconnu comme un talent exceptionnel mais le meilleur restait à venir…
En 2000, à 14 ans, Aaron rejoint le RSS-DEV Working Group qui développe la spécification RSS 1.0. Pour ceux qui ont vécu l’époque où on devait aller vérifier manuellement chaque site pour voir s’il y avait du nouveau contenu, RSS c’était la révolution absolue. Fini de faire le tour de 20 sites web tous les matins, les flux RSS amenaient directement l’info dans votre lecteur. C’est Aaron qui a participé à créer ça. À cet age, il devient même membre du World Wide Web Consortium (W3C) pour aider à développer les formats de données communs utilisés sur le web.
Un an plus tard, à 15 ans (j’insiste sur les âges parce que c’est hallucinant) il bosse avec Lawrence Lessig, professeur de droit à Harvard, sur l’architecture technique de Creative Commons. Vous savez, ces licences qui permettent aux créateurs de partager leurs œuvres sans se faire bouffer par le copyright traditionnel ? Et bien c’est Aaron qui code littéralement la couche logicielle des licences Creative Commons qui sont maintenant utilisées dans le monde entier. Des millions de créateurs utilisent aujourd’hui ce système pour libérer leurs contenus.
Aaron Swatz et Lawrence Lessig (source)
En parallèle, avec John Gruber, il co-crée Markdown en 2004, ce langage de balisage simple que vous utilisez probablement sans le savoir si vous traînez sur GitHub, Reddit, Discord ou même certains CMS. Par exemple, cette page que vous êtes en train de lire à été transformée en HTML à partir d’un fichier markdown. Cette syntaxe Markdown a été influencée par le langage atx qu’Aaron avait créé en 2002. Markdown, c’est donc cette syntaxe géniale qui permet d’écrire de l’hypertexte mis en forme, sans se prendre la tête avec les balises. Encore une fois, Aaron était sur le coup.
Et puis il y a Reddit.
Alors attention, l’histoire est un peu tordue parce qu’officiellement, Reddit a été fondé par Steve Huffman et Alexis Ohanian en 2005. Mais Aaron arrive dans l’histoire quand sa boîte Infogami (qu’il avait lancée avec son framework web.py) fusionne avec Reddit chez Y Combinator en novembre 2005. Du jour au lendemain, il devient cofondateur et se retrouve à recoder entièrement Reddit depuis le langage Lisp vers Python avec son framework web.py qu’il avait développé et qu’il release en open source.
Et Reddit, c’est pas juste un site de partage de liens, hein… c’est devenu LE lieu de débat d’Internet avec 430 millions d’utilisateurs actifs en 2025. Et Aaron était là dès le début, même si Condé Nast l’a racheté en 2006 pour une somme entre 10 et 20 millions de dollars, faisant d’Aaron un millionnaire avant même qu’il puisse légalement acheter une bière.
Aaron (source)
Et Aaron n’était pas juste un développeur brillant, c’était un visionnaire. Il voyait déjà Internet comme un outil d’émancipation démocratique alors quand les autres codaient pour faire du fric ou pour le fun, lui codait pour changer le monde. D’ailleurs, il quittera Reddit en janvier 2007, frustré par la culture corporate après le rachat par Condé Nast.
Sa philosophie, Aaron l’a formalisée en juillet 2008 dans son Guerilla Open Access Manifesto, écrit lors d’une rencontre entre bibliothécaires en Italie. Un texte court mais percutant qui commence par cette phrase mythique : “Information is power. But like all power, there are those who want to keep it for themselves.” L’information, c’est le pouvoir. Mais comme tout pouvoir, il y a ceux qui veulent le garder pour eux. Le manifeste continue : “L’ensemble du patrimoine scientifique et culturel mondial, publié au fil des siècles dans des livres et des revues, est de plus en plus numérisé et verrouillé par une poignée d’entreprises privées.” C’était son credo, son combat de toute une vie.
Parce qu’Aaron, il avait compris un truc que beaucoup n’ont toujours pas pigé. Dans une société de l’information, celui qui contrôle l’accès au savoir contrôle tout le reste. Les éditeurs scientifiques comme Elsevier ou Springer qui verrouillent la recherche derrière des paywalls de 30-40$ par article, pour Aaron, c’était de la pure extorsion. La recherche scientifique étant financée par l’argent public via les universités et les bourses de recherche (NSF, NIH, etc.), les résultats devraient appartenir au public. Point barre. Il écrivait alors dans son manifeste : “Nous devons récupérer les informations, où qu’elles soient stockées, en faire des copies et les partager avec le monde entier.”
C’est donc exactement ce raisonnement qui l’a mené à lancer Open Library en 2007 avec l’Internet Archive de Brewster Kahle. Le projet était dingue. Il s’agissait de créer une bibliothèque numérique universelle qui référencerait tous les livres existants, “une page pour chaque livre” et pas juste les cataloguer. Non, il voulait les rendre accessibles. Aaron bossait pour l’Internet Archive à l’époque, et il était déterminé à numériser le patrimoine littéraire mondial pour le rendre libre d’accès.
Le projet continue aujourd’hui avec des millions de livres numérisés.
L’Internet Archive, où Aaron a développé l’Open Library
Moi qui galère parfois à trouver des bouquins techniques récents sans me ruiner, je peux vous dire que l’idée d’Aaron me parlait énormément. Combien de fois j’ai eu besoin d’un article spécialisé et je me suis retrouvé face à un paywall à 39$ pour 8 pages PDF ? C’est rageant, surtout quand on sait que les chercheurs qui ont écrit ces articles ne touchent généralement pas un centime sur ces ventes… Ils font même du peer-review gratuitement !
Aaron développait aussi en parallèle d’autres projets révolutionnaires. En 2011-2012, avec Kevin Poulsen (ancien hacker devenu journaliste chez Wired) et James Dolan, il bossait sur DeadDrop, un système ultra-sécurisé permettant aux sources anonymes de transmettre des documents aux journalistes sans risquer d’être identifiées. Le projet utilisait Tor et un chiffrement avancé pour protéger les lanceurs d’alerte. Après la mort d’Aaron, la Freedom of the Press Foundation a repris le projet sous le nom SecureDrop.
Le premier déploiement a eu lieu au New Yorker le 15 mai 2013 sous le nom “Strongbox” et aujourd’hui, des médias comme The Guardian, The New York Times, The Washington Post, ProPublica ou The Intercept utilisent SecureDrop pour recevoir des documents confidentiels en toute sécurité. C’est grâce à ce système que des révélations majeures ont pu être publiées.
Politiquement, Aaron était aussi très engagé. Il a cofondé Demand Progress et le Progressive Change Campaign Committee pour soutenir des candidats progressistes au Congrès américain. Il s’est battu contre SOPA (Stop Online Piracy Act), cette loi scélérate qui aurait donné des pouvoirs de censure énormes aux ayants droit. Je me souviens encore du blackout de Wikipedia le 18 janvier 2012 pour protester contre SOPA… Aaron était sur tous les fronts de cette bataille, organisant des campagnes qui ont généré des millions d’appels au Congrès. La loi a finalement été abandonnée grâce à cette mobilisation.
Mais avant ça, en 2008, Aaron avait déjà frappé un grand coup avec PACER. Pour ce projet, il téléchargera légalement 2,7 millions de documents judiciaires fédéraux depuis une bibliothèque publique offrant un accès gratuit temporaire, et les rendra ensuite disponibles gratuitement alors que PACER facturait 8 cents la page. Le FBI ouvre une enquête mais la ferme rapidement car Aaron n’avait techniquement rien fait d’illégal.
Mais c’est son combat pour l’open access qui va lui coûter la vie. Entre septembre 2010 et janvier 2011, Aaron mène sa dernière grande opération de libération de l’information. Il se rend régulièrement au MIT, se connecte au réseau de l’université avec un compte invité légitime, et télécharge massivement des articles de JSTOR, cette base de données qui stocke des millions d’articles académiques derrière des paywalls. Il utilise pour cela un script Python appelé “keepgrabbing.py” depuis un ordinateur portable qu’il cache dans une armoire réseau non verrouillée du bâtiment 16 du MIT.
Le campus du MIT où Aaron a téléchargé les articles JSTOR (source)
Au total, Aaron récupère 4,8 millions d’articles soit environ 80% de la base JSTOR, dont 1,7 million étaient disponibles via le “Publisher Sales Service” de JSTOR.
Son plan était de les rendre publics, évidemment. Pour lui, c’était logique car ces articles décrivent des recherches financées par l’argent public, et doivent donc être accessibles au public. C’était l’application pratique de son manifeste de 2008.
Sauf que le système ne l’entendait pas de cette oreille. Le 6 janvier 2011, Aaron est arrêté par la police du MIT et un agent des services secrets américains près du campus de Harvard alors qu’il venait récupérer son ordinateur dans le placard où il l’avait planqué. Les charges fédérales tombent alors comme un couperet en juillet 2011 : 4 chefs d’accusation initiaux, puis 13 au total, soit 2 pour fraude électronique et 11 violations du Computer Fraud and Abuse Act de 1986. Au total, il risque 35 ans de prison, 1 million de dollars d’amende, la confiscation de ses biens, des dommages-intérêts et une liberté surveillée.
35 ans de prison pour avoir voulu libérer des articles scientifiques. Je vais être franc avec vous, quand j’ai découvert ces chiffres, j’ai eu envie de vomir On parle quand même d’un gamin de 24 ans qui n’a jamais fait de mal à personne, et qui a consacré sa vie à améliorer Internet et la société. Et le système judiciaire américain, mené par la procureure Carmen Ortiz et le procureur adjoint Stephen Heymann, veut l’enfermer plus longtemps que certains meurtriers. Ortiz déclare même : “Voler, c’est voler, que ce soit à l’aide d’une commande informatique ou d’un pied-de-biche.”
L’ironie, c’est que JSTOR eux-mêmes n’ont pas porté plainte civile. Ils ont récupéré leurs articles et publié un communiqué disant qu’ils considéraient l’affaire close, même s’ils jugeaient l’accès d’Aaron comme un “significant misuse” (un abus manifeste) fait de manière non autorisée. Mais les procureurs fédéraux ont décidé d’en faire un exemple. Il fallait montrer aux hacktivistes qu’on ne plaisantait pas avec la propriété intellectuelle. Les cons.
Les négociations de plaider-coupable traînent en longueur. Aaron refuse un deal qui l’enverrait 6 mois en prison car pour lui, accepter équivaudrait à admettre qu’il a eu tort de vouloir libérer l’information. Son avocat Marty Weinberg raconte qu’il était sur le point de négocier un accord où Aaron n’aurait pas fait de prison du tout. JSTOR était d’accord, mais le MIT a refusé de signer une déclaration de soutien et est resté “neutre”… une neutralité qui ressemblait fort à une condamnation.
Pendant ce temps, Aaron déprime. Ses amis racontent qu’il était de plus en plus isolé, de plus en plus désespéré par l’acharnement judiciaire dont il était victime. Il souffrait de dépression depuis des années et avait déjà écrit sur son blog “Raw Thought” à ce sujet. L’avocat Andy Good, qui s’occupait initialement de l’affaire, a même dit au procureur Heymann qu’Aaron était suicidaire. La réponse du procureur ? “Fine, we’ll lock him up.” (Très bien, on l’enfermera.)
Le 9 janvier 2013, deux jours avant sa mort, JSTOR annonce ironiquement qu’ils vont rendre accessibles gratuitement plus de 4,5 millions d’articles datant d’avant 1923 aux États-Unis et d’avant 1870 ailleurs via leur service “Register & Read”. Une partie de ce qu’Aaron voulait accomplir, mais trop peu, trop tard.
Puis le 11 janvier 2013, sa compagne Taren Stinebrickner-Kauffman (directrice exécutive de SumOfUs) le retrouve pendu dans leur appartement de Crown Heights, Brooklyn. Aaron Swartz est mort à 26 ans, 2 jours après que les procureurs aient rejeté sa dernière contre-proposition de plaidoyer. Il n’a pas laissé de mot d’adieu.
Sa famille publiera un communiqué bouleversant : “La mort d’Aaron n’est pas seulement une tragédie personnelle. Elle est le résultat d’un système judiciaire pénal marqué par l’intimidation et les abus du ministère public. Les décisions prises par les responsables du bureau du procureur fédéral du Massachusetts et du MIT ont contribué à sa mort.” Ils accusent directement les procureurs d’avoir poussé Aaron au suicide par leur acharnement.
Moi qui ai parfois des coups de blues quand l’un de mes projets plante ou qu’un cyber-gland m’insulte, je n’arrive même pas à imaginer la pression qu’Aaron a dû ressentir. Se retrouver face à 35 ans de prison pour avoir voulu partager de la connaissance, c’est d’une violence inouïe. Surtout pour quelqu’un qui avait consacré sa vie entière à améliorer le monde.
La mort d’Aaron provoque un tollé international. Des mémoriaux sont organisés dans le monde entier, y compris au MIT. Ses funérailles ont lieu le 15 janvier 2013 à la Central Avenue Synagogue de Highland Park et le mouvement Anonymous lance l’Opération Last Resort avec des cyberattaques contre le site du MIT et du département de Justice en protestation. Une pétition demandant le limogeage de la procureure Carmen Ortiz recueille même plus de 60 000 signatures sur We the People.
Plus important, les représentants Zoe Lofgren et Ron Wyden introduisent au Congrès une révision du Computer Fraud and Abuse Act, surnommée “Aaron’s Law”, pour éviter que d’autres hacktivistes subissent le même sort. La loi vise à empêcher les poursuites pour violation de conditions d’utilisation. Malheureusement, elle n’a jamais été votée et à l’heure où j’écris ces lignes, les mêmes excès du système judiciaire américain persistent.
En août 2013, Aaron est intronisé à titre posthume au Internet Hall of Fame. En 2014, Lawrence Lessig mène une marche à travers le New Hampshire en son honneur, militant pour la réforme du financement des campagnes électorales.
Mais l’héritage d’Aaron est immense ca chaque jour, des millions de personnes utilisent ses créations sans le savoir. Les flux RSS alimentent encore une bonne partie du web et les vrais passionnés utilisent toujours des lecteurs RSS. Reddit est devenu un des 10 sites les plus visités au monde avec 430 millions d’utilisateurs actifs mensuels et une valorisation de 10 milliards de dollars. Markdown est utilisé par tous les développeurs sur GitHub, GitLab, Stack Overflow, Discord et une myriade d’autres plateformes et c’est devenu LE standard de facto pour la documentation technique.
SecureDrop, son dernier projet, protège aujourd’hui des centaines de sources et de journalistes à travers le monde. Plus de 75 organisations médiatiques l’utilisent. Des révélations majeures comme les Panama Papers ou les Paradise Papers ont pu être publiées grâce à ce type de systèmes qu’Aaron avait imaginé pour protéger les lanceurs d’alerte. Et chaque fois qu’un gouvernement corrompu ou une entreprise véreux se font épingler grâce à des fuites sécurisées, c’est un peu l’esprit d’Aaron qui gagne.
Creative Commons a également libéré des millions d’œuvres créatives… On compte plus de 2 milliards d’œuvres sous licence CC en 2025 et Open Library continue de numériser et de rendre accessibles des livres du monde entier avec plus de 20 millions d’ouvrages référencés. Et surtout, ses idées sur l’open access ont fini par s’imposer et de plus en plus d’universités et d’organismes de recherche exigent que les publications financées par l’argent public soient librement accessibles. L’Union Européenne a aussi rendu l’open access obligatoire pour toutes les recherches financées par Horizon Europe et même PubMed Central aux États-Unis contient maintenant plus de 8 millions d’articles en libre accès.
Alexandra Elbakyan, inspirée par Aaron, a créé Sci-Hub en 2011 qui donne accès à plus de 85 millions d’articles scientifiques gratuitement. Elle dédie explicitement son travail à la mémoire d’Aaron. “Je pense qu’Aaron a fait un excellent travail en téléchargeant des millions d’articles de JSTOR. C’est un acte héroïque”, a-t-elle déclaré.
En février 2025, l’Internet Archive a même inauguré une statue d’Aaron dans son auditorium. Ils ont choisi cette date symbolique pour marquer les 12 ans de sa disparition et rappeler que son combat continue. Parce que oui, le combat continue.
Regardez ce qui se passe aujourd’hui avec l’IA générative et les droits d’auteur. Les grands modèles sont entraînés sur des milliards de textes récupérés sur Internet, et les éditeurs crient au scandale. Ils voudraient qu’on paye des licences pour chaque bout de texte utilisé pour entraîner un modèle IA.
Je pense qu’Aaron aurait été en première ligne de ce débat, défendant l’idée que la connaissance doit être libre pour permettre l’innovation. Il aurait aussi été horrifié de voir comment les GAFAM ont verrouillé Internet. Meta qui décide de ce que vous avez le droit de voir, Google qui filtre les résultats de recherche selon ses intérêts commerciaux, Apple qui contrôle tout ce qui peut tourner sur iOS avec son App Store… Aaron avait prévu cette dérive et s’y opposait déjà quand les autres trouvaient ça cool d’avoir des plateformes “gratuites”.
Le mouvement pour la neutralité du net, qu’Aaron soutenait déjà en 2010, est plus d’actualité que jamais. Aux États-Unis, elle a été supprimée sous Trump, rétablie sous Biden, et qui sait ce qui se passera ensuite. Aaron avait vu juste. Sans neutralité du net, Internet devient un outil de contrôle au service des plus riches.
Ce qui me frappe le plus dans l’histoire d’Aaron, c’est à quel point il était en avance sur son temps. Il parlait déjà d’éthique de l’IA quand la plupart des gens découvraient à peine Facebook, il défendait la transparence algorithmique quand Google était encore “Don’t be evil” (motto abandonné en 2018…) et il voulait démocratiser l’accès à l’information quand les autres ne voyaient Internet que comme un nouveau marché à conquérir.
Je pense souvent à ce qu’il aurait pu accomplir s’il avait vécu. À bientôt 39 ans (le 8 novembre 2025), il serait probablement à la tête d’organisations luttant contre la surveillance de masse, pour la protection des données personnelles, pour un Internet décentralisé. Il aurait peut-être créé des alternatives libres aux GAFAM (Imaginez un Aaron Swartz travaillant sur le Fediverse ou sur des protocoles vraiment décentralisés), et il se serait battu pour que les bienfaits de l’IA profitent à tous, et pas juste aux actionnaires de quelques boîtes californiennes.
Mais même absent, Aaron continue d’inspirer. Chaque développeur qui publie son code en open source, chaque chercheur qui rend ses publications librement accessibles sur arXiv ou bioRxiv, chaque journaliste qui utilise SecureDrop pour protéger ses sources perpétue son héritage. Chaque fois que quelqu’un refuse de céder aux sirènes du verrouillage propriétaire et choisit la liberté, Aaron gagne un peu.
Parce que c’est ça, le vrai message d’Aaron Swartz : L’information libre n’est pas un luxe de geek, c’est un droit fondamental. Dans une société démocratique, l’accès au savoir ne peut pas dépendre de votre capacité à payer des abonnements. La connaissance appartient à l’humanité entière, pas aux éditeurs qui la verrouillent ou aux gouvernements qui la censurent.
Alors oui, Aaron Swartz était un révolutionnaire. Pas le genre qui pose des bombes ou qui renverse des gouvernements, mais le genre qui change le monde ligne de code après ligne de code. Le genre qui comprend que dans l’ère numérique, la liberté passe par la libre circulation de l’information.
Et comme tous les vrais révolutionnaires, il a fini martyr de sa cause.
Mais contrairement aux révolutionnaires d’antan dont on ne se souvient que dans les livres d’histoire, l’héritage d’Aaron est vivant et tangible et le 8 novembre, jour de son anniversaire, des hackatons sont organisés dans le monde entier pour l’Aaron Swartz Day. Des développeurs, des militants, des chercheurs se réunissent pour faire avancer des projets dans l’esprit d’Aaron, à savoir rendre l’information plus libre, plus accessible, plus démocratique.
Parce que finalement, c’est ça le plus grand hommage qu’on puisse rendre à Aaron Swartz : Continuer son combat en refuser les paywalls absurdes, en soutenant l’open source, en défendant la neutralité du net, en protégeant les lanceurs d’alerte, utiliser et en promouvant les licences Creative Commons.
Chaque fois qu’on choisit la liberté plutôt que la facilité, l’ouverture plutôt que le contrôle, l’information libre plutôt que le profit, on honore sa mémoire.
Bref, Aaron Swartz était le héros dont Internet avait besoin, mais pas celui qu’il méritait.
Sources : Wikipedia - Aaron Swartz, Wikipedia - United States v. Swartz, Guerilla Open Access Manifesto (2008), Internet Hall of Fame - Aaron Swartz, JSTOR Evidence in United States vs. Aaron Swartz, MIT Report on Aaron Swartz, Aaron Swartz Day